Les banlieues sont-elles « arrosées » d’argent public ? [À Vrai Dire]

Source: TV5 MONDE

https://information.tv5monde.com/societe/video/les-banlieues-sont-elles-arrosees-dargent-public-vrai-dire-2659007

Alors que:

Non recours RSA

Ces premiers chiffres émanent des constatations de MME Gisèle BIÉMOURET et M. Jean-Louis COSTES : députés auteurs du RAPPORT D’INFORMATION sur l’évaluation des politiques publiques en faveur de l’accès aux droits sociaux du 26 octobre 2016. Les taux de non-recours sont estimés sur 3 aides qui figurent parmi les plus notoires pour la population.

Le rapport évalue le non-recours pour :

  • Le Revenu de Solidarité Active 36% de non-recours : Le RSA est un minima social conçu pour assurer à chacun un moyen de subsistance.
  • L’Aide Complémentaire à la Santé entre 57 et 70%  de non-recours : L’ACS est une aide pour souscrire à une mutuelle à prix réduit, accessible aux personnes possédant de faibles ressources.
  • La Couverture Maladie Universelle Complémentaire entre 21 et 34% de non-recours : La CMU-C est une mutuelle totalement gratuite réservée aux plus démunis afin de garantir l’accès aux soins.

La CMU-C et l’ACS n’existent plus aujourd’hui sous cette appellation. Elles sont désormais regroupées par la nouvelle Complémentaire Santé Solidaire

Par ailleurs, il existe des données officielles sur le non-recours à la prime d’activité, prestation qui permet aux travailleurs à ressources modestes d’obtenir une prime mensuelle pour améliorer leurs revenus.

La Direction Générale de la Cohésion Sociale a publié en 2017 un rapport d’évaluation de la prime d’activité. Cette étude, disponible ici, fait apparaître le taux de non-recours estimé (dans les pages 18 et 19) :

  • Prime activité :  27% de non-recours

Bien qu’il ne soit pas aujourd’hui possible d’évaluer le non-recours sur les plus de 300 dispositifs d’aide sociale existants, les quelques estimations ci-dessous glanées à l’aide d’études réalisées par des organismes compétents permettent de se faire une idée de l’ampleur du phénomène.

  • APA-D (allocation personnalisée à l’Autonomie à domicile) entre 20 et 28% de non-recours en 2016, selon le rapport de la DREES.
  • Chèque énergie20% de non recours lors des années d’expérimentation entre 2015 et 2017, essentiellement dans le département du Pas de Calais (lire l’article). Depuis le 01 janvier 2018, cette nouvelle tarification sociale de l’énergie s’est généralisée. Le non-recours au chèque énergie peut paraître étonnant compte tenu de son attribution automatique. Néanmoins il existe des problèmes de réception et de bonne compréhension de son fonctionnement qui génère un taux de non-recours important.
  • Allocations familiales :  le dernier rapport du Secours Catholique pour l’année 2018 (p42) constate une baisse de l’accès aux allocations familiales. Pour le démontrer, le rapport s’appuie sur une comparaison entre les années 2010 et 2017 et concernant les familles avec 2 enfants accueillies par le Secours Catholique. Celle-ci  fait apparaître une baisse de 5% (83% de ces familles percevaient les allocations familiales en 2010 et seulement 78% en 2017).

Une donnée supplémentaire intéressante permet de se rendre compte de l’importance du phénomène de non-recours. Il s’agit des résultats du dispositif mis en place par la CAF : “Les rendez-vous des droits“.

La CAF invite les personnes en situation de précarité et celles en dehors des dispositifs sociaux à faire le point sur leur situation auprès d’un conseiller. Le point est effectué de manière globale et ne concerne pas uniquement les aides de la CAF. Lors de l’année 2016, plus de 250.000 entretiens ont été réalisés. L’étude menée par la DREES sur ce dispositif fait apparaître que 63% des personnes en situation d’accéder à une prestation y parviennent après un entretien ” rendez-vous des droits”.

Malheureusement et bien qu’il faille saluer cette initiative de la CNAF, les rendez-vous des droits demeurent un arbre qui cache la forêt du non recours aux aides de la CAF. Pour bien comprendre, consultez le rapport  vivre en situation de non recours de P.Mazet et H.Revil (chercheurs à l’Odenore). Cette étude se penche sur le non recours dit frictionnel, c’est à dire l’arrêt des versements alors même que la personne reste éligible à l’aide. Cette forme de non recours est très fréquente et se produit notamment en cas d’erreurs ou de retards de déclarations à la CAF.

Pourquoi les taux de non-recours sont-ils si élevés ?

5 raisons pour mieux comprendre l’ampleur du phénomène

Le phénomène de non-recours est passé durant des décennies à travers les mailles des systèmes de surveillance.

Au début des années 2000, après la loi de 1998 contre l’exclusion, les pouvoirs publics se sont enfin préoccupés de cette question. En parallèle, l’ODENORE a été créé en 2003 dans le but d’observer le phénomène.

Expliquer pourquoi les gens n’accèdent pas à leurs droits n’est pas une mince entreprise. Toutefois, l’ODENORE est parvenu à dresser une typologie du non-recours. Elle évolue régulièrement au fil des connaissances qu’apportent les nouveaux travaux et comporte aujourd’hui 5 catégories de raisons pour mieux comprendre le phénomène.

Le non-recours par non-connaissance

Cette dénomination regroupe 3 facteurs très simples qui démontrent l’importance de transmettre des informations de qualité  à la population en matière de prestations sociales.

  • Soit les personnes ne connaissent tout simplement pas les aides non recours par non proposition
  • Soit les personnes ne comprennent pas l’aide (on peut prendre ici l’exemple de l’ACS : beaucoup de gens en ont entendu parler, mais ne savent pas réellement ce que c’est ou comment l’obtenir)
  • Soit les personnes connaissent l’aide, mais ne se pensent pas concernées

Selon Philippe Warin directeur de l’observatoire, la non-connaissance constitue une forme très fréquente de non recours (cf. un entretien accordé au Berry Républicain).

Le non-recours par non-proposition

Il existe même une réciproque, en quelque sorte, de la non-connaissance, c’est la non-proposition. L’aide n’est pas proposée par les agents ou conseillers qui officient dans les différents organismes chargés de distribuer l’aide sociale.

La non-proposition est caractérisée lorsque :

  • Les agents ne connaissent pas eux-mêmes l’aide qui devrait être attribuée
  • Les agents pensent que la personne n’est pas concernée

Le fait qu’une aide ne soit pas recourue, car elle n’est pas proposée est un marqueur de dysfonctionnement du déploiement de l’aide publique. De plus, on ne parle de non-proposition que lorsqu’un agent “oublie” une aide qui dépend de son propre organisme.

Par exemple, imaginons un parent isolé faisant le point sur sa situation dans son agence CAF. Il explique à l’agent qu’il peine à se faire payer sa pension alimentaire par son ex-conjoint. Le rôle de l’agent de la CAF est alors d’orienter cette personne vers l’ARIPA, dont le but est d’aider les parents isolés dans le recouvrement des pensions impayées. Dans le cas contraire, nous sommes face à un cas typique de non-recours par non-proposition.

Concernant les personnes en situation de grande précarité, il arrive que des agents préfèrent différer l’accès à certaines prestations lorsque les démarches sont trop complexes. Mieux vaut alors un accès progressif et par étape à l’ensemble des aides pour ne pas décourager ces personnes qui pourraient décider de se maintenir hors de tout dispositif d’aide.

Le non-recours par non-demande

Il s’agit ici du refus d’effectuer une demande par une personne éligible et informée. Une certaine lassitude ou découragement face à l’administration est souvent à l’origine de cette forme de non-recours. Les bénéficiaires potentiels peuvent également éprouver un sentiment de honte lié à la stigmatisation des personnes aidées.

Démarches aides sociales complexes

Ainsi lorsque le non-recours est un choix :

Les personnes n’adhèrent pas à la proposition (refus de ses principes ou conditions)

  • Les demandeurs potentiels souffrent de problèmes d’estime d’eux-mêmes
  • Désintérêt pour la prestation (mauvais rapport entre l’implication nécessaire à la bonne conduite de la démarche et l’apport concret de l’aide)
  • Les personnes se tournent vers d’autres alternatives que la demande d’aide (solidarité familiale…)

En revanche la non-demande peut être également contrainte par :

  • Le découragement, la lassitude parfois même le stress devant la complexité de la démarche
  • Une vision négative de la demande (je n’y aurais pas droit, je n’ai aucune chance de l’obtenir, je n’en suis pas capable…)
  • Des difficultés à comprendre ou exprimer ses propres besoins
  • Une peur des conséquences de l’obtention (ou de la demande) d’une aide sur les déclarations de revenus, avis d’imposition …
  • La peur de la stigmatisation vis-à-vis des proches, de l’entourage, de la société…
  • Un sentiment de discrimination
  • La perte de l’idée même d’avoir des droits : l’impression de quémander
  • Des problèmes de transport en cas de rendez-vous

Une étude de la DREES sur les raisons qui motivent l’abandon des démarches à la suite d’un rendez-vous des droits montre que 2% des personnes interrogées ne mènent pas leur demande à terme en raison de ce que pense leur entourage ou du fait de dépendre de l’aide sociale.

Le non-recours par non-réception

Les bénéficiaires potentiels font une demande, mais ne l’obtiennent pas. Soit ils ne parviennent pas à mener la démarche à terme, soit ils sont découragés par le discours des agents des organismes sociaux.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène :

  • La demande d’aide est abandonnée : il existe de nombreuses raisons (mauvaise compréhension des démarches à accomplir, document manquant…)
  • Le bénéficiaire n’est pas d’accord avec l’aide proposée (considérant par exemple qu’elle est trop faible)
  • La procédure n’est pas menée correctement
  • L’attribution de l’aide peut être gênée par un mauvais fonctionnement du service prestataire
  • Le bénéficiaire est victime de discrimination

 

Le non-recours par non-orientation

Il s’agit de la toute dernière forme de non-recours identifiée par l’Odenore. Elle est caractérisée lorsqu’une personne qui devrait bénéficier d’une aide n’est pas suffisamment conseillée et accompagnée pour réaliser la démarche. Cette  nouvelle typologie étudie les comportements de l’entourage du bénéficiaire potentiel (un proche, un employeur, un médecin, une association).

Pour démontrer le non-recours par non-orientation, l’Odenore a publié une enquête qui concerne l’accès à la Prestation Compensatoire de Handicap pour des personnes souffrant de troubles psychiques. Cette aide est attribuée par les MDPH (Maisons Départementales des Personnes Handicapées). Le travail réalisé par l’Odenore montre un phénomène complexe d’accès à l’aide freiné par la réticence voire le déni des bénéficiaires potentiels et au sein duquel le rôle de l’entourage est prépondérant.

Il existe de nombreuses manifestations de non-recours par non-orientation. On peut penser aux jeunes en situation de décrochage, qu’il soit professionnel ou scolaire. Il arrive que les parents, famille, enseignants et entourage global abdiquent face à la difficulté de résoudre les problèmes.

Source: https://www.aide-sociale.fr/non-recours/

Si la fraude sociale est estimée à environ 2 milliards d’euros, ce sont des dizaines de milliards d’euros d’aides sociales qui ne sont pas perçues chaque année par des personnes qui y ont pourtant droit. Enquête de Marjolaine Koch, cellule investigation de Radio France.

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